Arnaud Montebourg : “Travailler avec ses mains, c’est travailler avec sa tête.”

Je n’opère pas de distinction entre le travail intellectuel et le travail manuel.

Après une première partie de vie tournée vers la politique et le droit, Arnaud Montebourg a opéré une reconversion dans le monde de l’entrepreneuriat. Pour les Déviations, il a accepté de nous parler de sa trajectoire, depuis son enfance aux portes du Morvan en campagne bourguignonne jusqu’à son engagement politique puis entrepreneurial pour l’innovation et l’industrie françaises.

Propos recueillis par Sandra Franrenet.

Les Déviations : De vous, on connaît surtout l’homme politique et le ténor du barreau. Un sacré parcours pour quelqu’un qui a grandi loin des réseaux parisiens ! Parlez-nous de votre enfance…

Arnaud Montebourg : J’ai grandi à Clamecy, une petite sous-préfecture de la Nièvre. Mon père travaillait aux impôts et ma mère était professeure d’espagnol. Mon grand-père paternel était charcutier mais c’est surtout chez mon grand-père maternel que j’ai passé le plus obscur de mon temps ! Il vivait dans une ferme au fond des bois du Morvan. Comme j’étais enfant unique, j’ai appris la solitude. Grâce à elle, je suis devenu un amoureux de la nature. Elle m’a aussi permis de déployer une grande part d’imaginaire. Les livres ont fait le reste. Mais à la campagne, je m’ennuyais. J’étais un garçon actif et entreprenant. J’avais envie de passer enfin à l’action. 

LD : A vous écouter, on devine un élève brillant à l’école. Était-ce le cas ?

AM : J’ai longtemps été un cancre mais je me suis révélé au lycée. J’ai passé un bac littéraire avec latin que j’ai obtenu avec mention. Cela m’a permis d’intégrer la faculté de droit de Dijon en 1980. Trois ans plus tard, à l’âge de 21 ans, j’ai réussi le concours d’entrée de Science Po Paris. Là-bas, je me suis retrouvé avec des fils d’archevêques et de notaires du 16e arrondissement. 

LD : Vous êtes-vous senti en décalage avec ces jeunes de bonne famille ?

AM : C’était assez déroutant pour moi qui appartenait à cette classe moyenne de province. Je n’avais en commun avec eux que l’intellect, la littérature et les musées. Car chaque année, mes parents organisaient une expédition depuis notre province pour aller au Louvre ou à Beaubourg. Je découvrais des œuvres qui me semblaient inaccessibles. C’était mon chemin vers une sorte d’univers interdit : l’esthétique. Mais j’ai détesté Sciences Po ! C’est une école qui apprend à singer les comportements de l’élite. Pas un lieu où l’on vous enseigne un métier. Je ne m’y suis jamais senti à l’aise bien que relativement fier de mon cursus. 

LD : A partir de quand vous êtes-vous intéressé à la politique ?

AM : J’y ai été initié très jeune. J’ai le souvenir de discussions très animées, pour ne pas dire de disputes interminables, entre mes parents et mes grands-parents sur des sujets politiques ! Ma famille a toujours cultivé la controverse, la rhétorique et la dialectique. Et mon grand-père maternel, Khermiche Ould Cadi, était un grand narrateur qui m’a beaucoup inspiré. J’ai baigné dans cette atmosphère. A 18 ans, j’ai commencé à militer au sein de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), un syndicat initialement proche de la gauche socialiste, puis j’ai adhéré au Parti socialiste. Je collais des affiches de Mitterrand dans la rue, j’allais aux réunions. Je trouvais ça très ennuyeux mais ces années m’ont permis de me former politiquement. J’ai acquis cette culture politique du militantisme qui m’a tant servi plus tard.

LD : Vous auriez pu devenir collaborateur d’élu et ainsi faire de la politique tout de suite. Pourquoi avoir choisi l’avocature ?

AM : Je voulais un “vrai” métier ! Quelque chose qui assure une indépendance de pensée et de parole. Je ne voulais surtout pas être dépendant d’un élu. Pour moi, carrière et politique sont deux termes inconciliables. En 1988, j’ai envoyé un CV à cinq ténors du barreau. L’un d’eux m’a embauché : Thierry Lévy. Il m’a tout appris. J’ai été son collaborateur pendant deux ans et demi. J’étais payé au lance-pierre, il me faisait travailler le week-end, recommencer mille fois le même dossier de plaidoirie… Mais j’étais content d’apprendre ! Je l’ai quitté pour monter mon propre cabinet. Là, mon passé de gamin solitaire m’a beaucoup aidé. 

LD : Vous avez refermé cette parenthèse de votre vie en 1998, après avoir été élu député de Saône-et-Loire l’année précédente. Vous n’avez jamais regretté ?

AM : Je me suis fait omettre du barreau, c’est-à-dire que je suis resté membre de l’Ordre mais je ne pouvais plus faire état de mon titre d’avocat ni exercer cette profession, pour éviter tout conflit d’intérêt. Je garde de cette époque d’excellents souvenirs mais j’estime avoir suffisamment goûté aux charmes et aux frissons du métier d’avocat. J’ai plaidé dans plusieurs affaires médiatiques (l’affaire du Carrefour du développement (1992), le procès de Christian Didier, assassin de René Bousquet (1995), la demande d’indemnisation de Christine Villemin (1995)). J’ai même été l’avocat du journal satirique Le Canard Enchaîné ! Tout à coup, les médias se sont demandés qui était ce jeune avocat de province à la langue mal pendue ! C’est comme cela que les socialistes de Saône-et-Loire se sont intéressés à moi et m’ont demandé de venir dans ce département quasi-natal. 

LD : Vous avez orienté votre deuxième partie de vie vers l’entrepreunariat. A partir de 1998, vous avez successivement monté Bleu Blanc Ruche, qui commercialise des pots de miel, La Compagnie des Amandes, qui produit des amandes éco-responsables et agroécologiques, et La Mémère, qui fabrique et vend des glaces fermières bio. Quel a été votre moteur ?

AM : J’avais envie de continuer à transformer la société à plus petite échelle, avec mes propres moyens. La politique et l’entreprenariat sont les deux facettes d’une seule et même chose. L’agriculture me tenait à cœur. Je suis un enfant de la France rurale et j’ai vu ce secteur s’écrouler. Aujourd’hui, 20% de la surface agricole utile est en état de friche. Cela me désole de voir les agriculteurs souffrir d’abandon économique et de négligence politique. Je me suis relevé les manches pour réfléchir à un modèle plus rémunérateur pour les paysans. Ce que je fais, ce n’est rien d’autre que du redressement productif en acte… ce que je faisais à Bercy lorsque j’étais ministre de l’Économie !

LD : Quel regard portez-vous sur les reconversions de CSP++ dans des métiers manuels ?

AM : Je n’opère pas de distinction entre le travail intellectuel et le travail manuel. Travailler avec ses mains, c’est travailler avec sa tête. Tous les métiers demandent de l’intelligence, une culture de l’observation et de la patience. Je vois derrière cette vague de reconversions un retour aux sources, aux origines, à des rêves d’enfant. L’urbanisation nous a fait perdre notre connaissance de la terre, qui est pourtant le premier apprentissage de l’homme. Réjouissons-nous de ce retour à la terre !

©Margot L’Hermite.

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