9 fois championne olympique handisport, présidente du CPSF ( Comité paralympique sportif français), Marie-Amélie Le Fur a participé à la deuxième table ronde animée et proposée par les Déviations le 23 mars dernier à la Nuit des Idées à la Sorbonne.

Voici l’intégralité de son intervention passionnante :
“J’avais peur d’être en déconnexion dans cette table ronde en regard de mon parcours, de mon profil. Tout ce que j’entends depuis toute à l’heure me rassure énormément : il y a beaucoup de choses qui font sens à ce que j’ai vécu. J’avais très jeune un parcours de vie qui était totalement tracé, je voulais être sapeur-pompier professionnel. J’avais déjà défini mes études, mon parcours. J’étais engagée dans ce programme, malheureusement et peut être heureusement, car c’est aussi la beauté de la vie, à l’âge de 15 ans, j’ai été victime d’un grave accident de circulation. – NDR : elle a perdu une jambe à l’issue d’un accident de scooter– Les certitudes que j’avais sur mon avenir, sur ma vie, pour la construction du futur s’effondraient. C’est du moins ce que j’ai ressenti les premiers jours. Très vite, j’ai eu une prise de conscience et cette volonté de ne pas passer à côté de ma vie.
“Cette capacité unique à rêver”
Oui, c’est un événement qui est terrible. Oui, j’ai perdu une jambe, oui je ne serai jamais pompier professionnel, mais à ce moment donné j’avais encore plein de choses à faire. Il me restait quelque chose d’unique dans la vie : cette capacité à continuer de rêver. A avoir de l’ambition, à pouvoir mener des choses, à être aimée, fonder une famille. Plutôt que de voir ce que j’avais perdu, j’ai décidé de me concentrer, de m’orienter vers tout ce que je pouvais encore faire.
“La possibilité que ma vie soit encore belle”.
Oui c’était une vie totalement différente de celle que j’avais imaginée, de celle que j’avais rêvée, mais j’avais la possibilité que ma vie soit encore belle. C’est avec cette quête de sens d’être heureuse, de vivre simplement la vie pleinement que je me suis relancée. Pour ne pas être trop dépaysée, j’ai choisi la solution de facilité qui est celle du sport. Et quand bien même les gens trouvaient ça impossible, quand bien même on a essayé de m’enfermer dans des cases, ça m’a profondément agacée, car en fait je n’avais pas envie d’être ce que la société attendait de moi mais j’avais simplement envie de vivre pleinement ma vie. J’ai repris le sport, j’ai continué à avancer, à cheminer et à me construire au travers de ce parcours, classique, d’une sportive de haut niveau qui fait des choix, qui mène une carrière sportive, qui a des moments difficiles, qui a des échecs.
“Derrière des contraintes, des opportunités”
Ce que m’a appris cet accident, c’est cette importance de la contrainte. J’ai découvert que derrière les plus grosses difficultés, derrière les plus grandes contraintes, finalement il y a des opportunités extraordinaires de se ré interroger, de faire des rencontres et finalement d’emprunter des choix de vie que l’on avait pas du tout prévus. Cela a été la beauté de mon parcours.
“Je ne fais plus de projection dans l’avenir”
J’ai arrêté de me projeter dans cinq ans, dix ans. Ou même dans trois ans. Je ne sais pas de quoi la vie sera faite demain, je sais juste ce que je ne veux pas faire, non pas de ce que je ne peux pas, j’ai eu beaucoup de révolutions, et je me suis beaucoup interrogée sur mon modèle. Je me laisse guider au travers des opportunités, du sens de ma vie. Avec cette envie d’apprendre et surtout comprendre que l’incertitude au quotidien, ce n’est pas un ennemi. Cette incertitude permet toujours d’avancer dans des limites de confort qui nous enferment dans un modèle dans lequel on ne se ré interroge pas, dans lequel on ne se challenge pas, et on ne rencontre pas des gens. C’est cette constance du changement que j’essaie de m’appliquer au quotidien.
“Qu’est-ce qu’un véritable échec dans la vie ? “
Cela n’a pas été toujours que des réussites. Je pense aussi qu’en France au delà du modèle éducatif, on a un dogme aussi autour de l’échec. Qu’est-ce que c’est que le véritable échec dans la vie ? Pour moi, le véritable échec c’est d’être immobile, de ne pas faire des choix. Je n’ai pas toujours fait les bons choix, je n’ai pas toujours tout réussi dans ma vie, mais cette quête du résultat dans laquelle je me suis engagée dans de nombreux moments, et quand bien même je n’ai pas réussi à atteindre le résultat escompté, a été des apprentissages et un modèle pour grandir au quotidien.
“Pourquoi j’ai envie de gagner”
‘Il y a aussi une année dans ma vie où je me suis un peu perdue. C’était après les Jeux olympiques de Londres, c’était mon premier titre paralympique, c’était merveilleux. Je devrais vivre la plus belle année de ma vie, puis derrière je repars dans un modèle un peu automatique, un peu obligé, je devais continuer ma carrière sportive et je me pose la question : “comment je fais pour continuer à exister, continuer à gagner ? ” J’étais malheureuse, je ne m’y retrouvais pas, pourtant ce sport m’animait toujours autant, mais après coup je me suis rendue compte que je ne m’étais pas posée la bonne question. Celle qu’il fallait se poser n’était pas “comment je fais pour gagner, mais pourquoi j’ai envie de gagner ? ” Dès l’instant que l’on se pose la question du pourquoi, dès l’instant que l’on se pose la question du sens du résultat que l’on veut atteindre, derrière on applique la méthode, qui n’est pas forcément la bonne, mais elle est la méthode qui nous parle et qui nous donne du sens au quotidien. Maintenant, je fonctionne comme cela. Quand je me fixe un objectif, c’est toujours pour comprendre pourquoi cet objectif m’anime et derrière je trace ma propre route quand bien même les gens ne la comprennent pas ou qu’ils estiment que ce n’est pas la route qu’eux auraient choisie. Moi, j’avance. Parfois, j’échoue, parfois je me dis que je n’ai pas fait les bons choix mais au moins j’ai décidé de continuer et d’avancer. Voilà mon parcours de vie – applaudissements-
J’ai eu un jour un peu de malchance mais finalement cela a été pour moi une ouverture et la découverte d’un monde avec la chance d’avoir rencontré des personnes qui ont des parcours très durs mais aussi terriblement magnifiques et qui amènent à une très grande humilité.
“Le CPSF, apporter un souffle nouveau “
Comment je suis devenue présidente du CPSF ? Tout simplement au travers d’un coup de fil. Un coup de téléphone de l’ancienne présidente qui m’annonce à la fois qu’elle démissionne pour des raisons personnelles et qui me dit qu’elle souhaite que je prenne sa succession et donc que je me présente à l’élection. En tant que jeune femme très réaliste, mais aussi en tant que jeune femme qui se met un plafond de verre, ma première réponse a été de me dire : « ben non ! (…) Je ne suis pas toi, je n’ai pas tes compétences, tes capacités, donc je ne serais pas à la hauteur.” Au début, je dis “non”. Je suis relancée par l’ancienne présidente, par d’autres personnes et j’ai commencé à réfléchir autrement à ce projet là. Je ne maitrisais pas le niveau de compétences qu’avait Emmanuelle à la fin de son mandat mais peut être que l’idée était d’avoir quelqu’un qui insufflait quelque chose de nouveau, que ces compétences pouvaient venir avec le temps. Pour moi en fait, l’élément déclencheur a été de comprendre que l’équipe qui allait m’entourer dans cette présidence me faisait confiance. Finalement la confiance des personnes autour de moi m’a fait dire que ces compétences qui étaient potentiellement manquantes, j’allais pouvoir les acquérir et en fait mon parcours de vie qui était totalement différent de l’ancienne présidente permettait aussi d’apporter un souffle nouveau à ce comité paralympique et que mon parcours de vie qui était complètement différent de celui de l’ancienne présidente permettait également d’apporter un souffle nouveau.
« Ne pas se mettre de barrières »
Mon parcours de vie correspondait aussi à un moment où le comité paralympique avait aussi besoin d’une aura extérieure et j’étais à l’époque une sportive qui était médiatisée. Cela a été pour moi un très gros challenge au quotidien : j’ai été parachutée là. Je n’ai pas fait les étapes classiques. Et pour autant depuis trois ans je pense que j’ai commencé à faire mes armes, j’ai rencontré encore une fois des personnes extraordinaires et cela a été une école de la vie. Ce qui m’a aidée, c’est de ne pas me mettre de barrières, toujours chercher à me ré interroger, avancer avec une certaine confiance en moi sans certitudes très fermes. Toujours dans l’écoute et dans le partage avec les autres personnes qui m’entourent. »
Recueillis par N.P
PS : complétez ce témoignage en vous replongeant dans l’interview passionnante que Marie-Amélie Le Fur a accordé à Stanilas Dupleix dans le premier numéro du magazine Les Déviations qui est toujours en vente dans les kiosques ou via ce lien.


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