Romain Paillard a fait une déviation – il était avocat- pour créer avec son frère Boris, le Wagon qui est devenu en moins de dix ans la première école de codage au monde. Il a participé le 23 mars dernier à la première table ronde animée par Le Déviations dans le cadre de la Nuit des Idées à la Sorbonne-Panthéon. Le digital rend-t-il heureux ?

Voici le texte de son intervention très remarquée :
« Bonsoir, je suis très content d’être là. Petit propos liminaire, je vais être probablement beaucoup plus trivial que ce l’on vient d’entendre jusqu’à présent, ce qui était merveilleusement intéressant. Et ceci pour une différence importante : on ne fait pas de l’éducation mais de la formation professionnelle. C’est différent, il s’agit de la formation continue. Ce n’est même pas qu’elle n’a pas fait sa déviation, c’est que aujourd’hui dans cette salle, on sait qu’elle existe uniquement parce qu’on nous appelle 15 fois par jour pour le CPF. – Ndr : Compte personnel de Formation- Globalement la formation professionnelle, c’est quelque chose qui est moribond depuis des décennies. C’est triste car la formation professionnelle, ce n’est ni plus ni moins que le droit que chacun à de se former tout au long de la vie. On a sur notre fiche de paie 4 droits, celui d’être malade, celui de vieillir, celui de perdre son emploi et celui de se former.
“Une première vie d’avocat”
Je peux parler de moi, j’étais avocat à la base. J’ai fait une première déviation quand j’étais avocat, je faisais du droit des affaires. J’ai fait mes études à Paris 1. Je suis très content de revenir. Je faisais des fusions acquisitions, toutes ces choses qui me faisaient rêver quand j’étais à la fac. Je gagnais extrêmement bien ma vie et je pourtant je me faisais terriblement ch… J’ai bifurqué assez rapidement, j’ai dû tenir huit mois et je suis allé faire du droit pénal. C’était le contraire : passionnant mais je ne gagnais plus ma vie. C’est un choix que je n’ai pas regretté, j’ai appris plein de choses, c’était très épanouissant, j’ai rencontré plein de situations humaines. Mais je ne pouvais pas manger, c’était compliqué au quotidien.
“Une école de codage novatrice créée avec son frère”
En parallèle de cela, j’avais envie de lancer une entreprise avec mon frère. Lui était dans un quotidien plus cossu, il a fait Centrale. Mon frère Boris travaillait dans les salles de marchés et il était très bien payé, lui. Mais cela n’avait aucun sens. Il faisait des modèles mathématiques pour que des gens très riches deviennent encore plus riches, si je dois résumer… Ce n’était pas passionnant. Le sens n’était pas forcément exceptionnel. En fait, on cherchait des choses à faire ensemble. A l’époque il y avait déjà internet, des applications. Nous étions en 2012. C’est une époque assez incroyable on l’on pouvait se dire que nous n’étions pas obligés de prendre un bail commercial dans Paris qui coûtait une fortune pour lancer une activité et faire plus de chiffre d’affaires qu’avec un magasin. A l’époque, un de nos amis est parti faire un boot camp aux Etats-Unis. C’est un barbarisme pour parler d’un camp d’entraînement intensif en l’occurence au développement web mais on peut l’imaginer dans d’autres domaines. Cet ami , a donc fait le premier boot camp originel en Californie. Il est parti faire neuf semaines de formation et il a été recruté chez Uber à son retour avec un salaire mirobolant. Cela répondait à mon attente, moi qui voulait apprendre à coder et lancer ma société. Je suis né au milieu des années 80 et on m’a toujours dit : « Coco, attention génération chômage, chômage, chômage…” Mon copain, lui a trouvé un boulot en 9 semaines mieux rémunéré que moi après 8 ans de fac ! Ok ! Un peu nouveau quand même !
“Des métiers sous tension”
Je découvre alors avec cet exemple qu’il y a des métiers qui sont tellement en tension qu’on peut être recruté en si peu de temps avec des salaires décents. On s’intéresse au sujet avec mon frère, on le creuse, et on lance le Wagon en janvier 2014 avec une quinzaine d’élèves à Paris. On a développé, assez facilement l’entreprise, sans lever de fonds. Bien plus tard en 2020, nous sommes passés de 15 élèves à 14 000 élèves. En tout, nous avons formé 14 000 personnes et on est dans 40 campus partout dans le monde globalement sauf aux Etats-Unis et en Russie, ce qui est une bonne chose. On a eu un peu de chance là dessus ! Nous avons développé l’entreprise. Le Wagon est aujourd’hui un gros groupe, on a beaucoup de salariés, on a levé des fonds et nous sommes devenus le leader mondial de ce format de Boot Camp.
“Nos alumnis ont levé 500 millions d’euros à ce jour !”
Quand je pense au sujet du travail et du sens, ma première réponse va être “déjà il n’y a pas de sens sans utilité”. Concrètement aller tous les jours faire un boulot qui ne sert à rien, dont on sait pertinemment qu’il ne sert à rien et pour lequel tout le monde fait comprendre que cela ne sert à rien, il y a peu de chance qu’on y trouve du sens et de l’épanouissement personnel. C’est un premier élément. Nous, on a de la chance, nous formons des gens à des métiers dont on sait pertinemment qu’en sortie nos étudiants seront recrutés. On peut avoir cette approche sur plein de sujets. Le sujet qui me passionne est celui des machines outils, ce sont des formations très demandées. Le ROI – Retour sur investissement- d’une formation machine outil est exceptionnel. Imaginez, vous êtes sur vos guiboles en plein canard toute la journée, mal payé, sur un chantier difficile. Avec cette formation machine outil, vous êtes devant une machine climatisée, vous ne marchez plus, vous n’êtes plus exposé au soleil et vous êtes deux fois mieux payé. Le retour sur investissement de cette formation est exceptionnel. Tous les gens qui sortent de nos formations trouvent un boulot, lancent leur entreprise. Nos alumnis ont levé en tout plus de 500 millions d’euros sur les dix dernières années en créant leurs propres entreprises. C’est forcément quelque chose qui apporte du sens. Toutes les personnes qui passent chez nous se sentent donc utiles et redécouvrent un nouveau métier dans lequel ils se sentent valorisés.
“80 % des emplois de demain ne seront pas connus !”
C’est le premier élément. Le deuxième point, c’est que quand on réfléchit à la façon de former les gens c’est qu’aujourd’hui il faut apprendre à les former à des métiers qui n’existent pas encore. Ce n’est pas évident à concevoir. Ma fille a deux ans aujourd’hui. 80 % des emplois des jobs qui existeront quand elle sera en âge d’être recrutée n’existent pas en 2022. Je vous donne un exemple très concret, on forme à deux métiers, développeurs web et data scientists. Et bien en 2014, Data scientists, quand on a lancé le Wagon, ça n’existait pas ou c’était confidentiel. Aujourd’hui on forme des gens à ce métier qui recrute massivement et ça va aller grandissant. C’est un élément fondamental. On forme des gens aux développements web, les technologies changent. Il y a cette culture du développeur qui est d’être curieux tout le temps et qui doit constamment se remettre en question s’il veut être autonome et indépendant. Les technologies changent par essence. Désolé pour l’anglicisme, mais c’est un mindset, un état d’esprit fondamental. Si on veut avancer dans ce monde, il va falloir faire des virages à 90 degrés très régulièrement pour suivre les changements du monde du travail.
“On est heureux quand on est là où l’on devait être”
Est-ce qu’on est plus heureux dans le digital ? C’est difficile comme question ! On est heureux quand on est là où l’on est, là où l’on devait être. Ce que je vois aujourd’hui c’est que les gens qui sortent du Wagon et qui décident de faire profession dans le domaine dans lequel nous les avons formés : 1/ il sont très courtisés donc ils peuvent sélectionner les projets sur lesquels ils peuvent s’investir. 2/ Ils ont une rémunération qui est décente, c’est quand même un élément important pour bien vivre. 3/ Le métier de développeur web est plus artisanal qu’il n’y parait, on fabrique des objets digitaux mais c’est très artisanal en fin de compte. Il y a ce côté je fais des choses de mes mains. Ce qui est important c’est le format. Un Boot Camp vient de se créer et se développe dans la rénovation énergétique. Ils forment des gens qui vont devenir chefs de projet, ça recrute dans tous les sens ! En indépendants on facture, ce que l’on veut au client, c’est génial. C’est la même chose que pour les développeurs. Ce sont des métiers en tension. Il y a des gens qui en ont marre d’être dans des bureaux, ils vont aller faire de l’artisanat chez des particuliers et c’est cela qu’ils préfèrent. Les gens qui sortent du Wagon, je le redis, ont le loisir de choisir les projets sur lesquels ils bossent et d’être bien rémunérés pour cela. C’est à priori deux éléments importants, fondateurs du bonheur. Oui, le digital contribue donc à être heureux…»

Retrouvez aussi l’interview très inspirante de Romain Paillard dans le premier numéro Les Déviations qui est toujours en vente via ce lien.

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