« Petite, j’aimais déjà écrire des poésies et faire du théâtre. Je voulais en comprendre les ressorts et tout connaître de la vie des personnages. Je jouais des hommes et des femmes ; c’est la question de l’humain qui m’importait. Mais je viens d’une famille où la peur du lendemain régit beaucoup de choses, où l’on devient médecin, entrepreneur, avocat pour sécuriser le quotidien. Ma famille a connu l’exil ; des immigrés qui ont tout perdu, savent que rien n’est jamais acquis et le transmettent.
Alors j’ai suivi la peur, fait une prépa HEC, intégré l’ESCP et me suis dirigée vers le marketing qui semblait correspondre à mon profil… Et j’ai fait une dépression. J’avais l’impression de suivre des “cours d’évidence’’, que j’avais tant travaillé pour une vie qui ne me plairait jamais. Je me suis réorientée vers la finance pour apprendre autre chose et j’ai atterri dans une banque. J’ai acheté un tailleur et une sacoche, lissé mes cheveux, et je suis rentrée dans le rôle. Je pense que je me croyais au théâtre mais il n’y avait plus de moments hors de scène et j’ai mis du temps à admettre que ce quotidien était ma vraie vie. J’ai fait une crise d’acné et pris du poids ; je trimballais ma veste dans un sac poubelle pour l’enfiler au travail. Je ne voyais pas comment m’en sortir, j’attendais que le temps passe. Puis mon frère a eu un accident.
Là, j’ai compris à quel point la vie ne tient à rien et j’ai changé du tout au tout, une première fois. J’ai décroché un stage en tant que rédactrice dans une agence de pub, travaillé en tant que rédactrice pour la télévision et la radio, je suis entrée au comité de lecture de Gaumont et j’ai réalisé un court métrage. Je voulais créer, écrire des histoires… Puis j’ai eu une maladie aux yeux qui s’est aggravée après une agression. J’ai perdu en quelques mois ma capacité à distinguer les visages dans la rue, à lire, à me voir vraiment dans un miroir.
Je suis restée presqu’un an à tourner en rond, souvent dans le noir. Je ne savais plus ce que j’allais faire de ma vie. Les médecins ont bricolé, car il n’y a pas de traitement. Je ne pouvais plus être freelance, j’avais des frais de santé conséquents, il me fallait un CDI. J’en ai décroché un. J’avais toujours envie d’écrire, j’essayais sans succès. Je ne voyais pas assez bien pour le cinéma, j’écrivais des romans qui ne trouvaient pas d’éditeur. Bref, je m’en sortais mais je n’aimais pas ce que je faisais. L’état de mes yeux s’est encore dégradé. Je suis restée 6 mois dans le noir, mon handicap a été reconnu et mon temps de travail aménagé. Il fallait que je trouve une façon d’être heureuse dans ce que je faisais.
Pendant ces mois d’inactivité en arrêt de travail, j’ai nagé, écrit, et envoyé le fruit de ce travail. Albin Michel m’a rappelée. Ce livre s’appelait Elle voulait juste marcher tout droit, l’histoire d’une petite fille qui cherche à comprendre son passé, qui espère avancer comme tout le monde quand cela semble impossible, et qui va s’en sortir grâce à un aveugle. Depuis, deux autres ont été publiés et le 4e, Puisque le soleil brille encore (éd. Calmann-Lévy), vient de paraître ; j’y parle de secrets de famille sur fond de dictature argentine et du combat d’une mère pour sauver son enfant. »
©Astrid di Crollalanza