Après 15 ans passés à faire avancer les projets stratégiques de grands groupes, Laurence s’est spécialisée dans le coaching d’entrepreneurs et de hauts potentiels. Elle s’intéresse tout particulièrement aux interactions humaines au sein des entreprises et des projets.
Par Laurence Copol.
Chaque période de sa vie, chaque phase, va façonner la raison d’être de son entreprise.
On prête souvent aux entrepreneurs des qualités de visionnaire. L’aventure Dao démontre que cette vision ne précède pas toujours l’action. Au début, la vision de Davy ne commande pas ses décisions. Elle ne les influence pas, car elle n’existe pas encore de façon suffisamment structurée pour s’imposer. Encore vague et embryonnaire, elle va émerger lentement, par l’observation du parcours et des tâtonnements de l’entrepreneur en devenir qu’il est, par l’analyse de ses expériences, de ses résultats, des sentiments que ces résultats inspirent. Elle va se construire en oubliant ou en rejetant certains de ces éléments tout en se nourrissant d’autres.
La vision de Davy va plonger dans l’histoire personnelle de son porteur, pour se structurer. Elle évolue, se forge dans le réel, via des décisions intuitives et opportunistes jusqu’à s’affirmer. Et c’est une fois qu’elle est affirmée, qu’elle s’est révélée, qu’elle va peser sur les actions de Davy et leur donner une vraie cohérence, un sens.
Davy a une vie très intense, caractérisée très tôt par des sentiments puissants, marquants et pas toujours positifs (l’humiliation, notamment). On voit que chaque période de sa vie, chaque phase, va façonner la raison d’être de son entreprise.
Avoir sa propre marque
Son objectif final, avoir sa propre marque, émerge peu à peu, mais il n’existait pas au début. Car ce qui motive son action initiale n’est pas de créer une entreprise, mais d’échapper aux moqueries de son entourage. Davy vit des contraintes très basiques. Il est exclu socialement. Le sens de son action est très pragmatique et personnel : il doit travailler pour sortir de cette situation et c’est parce que le fruit de son travail commence à lui rapporter de l’argent qu’il se met à penser à la création d’entreprise.
Sa « néo activité professionnelle », en lui donnant des revenus, lui permet de se hisser au niveau de ses amis, lui apporter une sorte de statut social avant l’heure. Elle lui permet tout simplement d’exister socialement. On est ici dans le cas d’un entrepreneur qui s’est lancé non par goût de l’aventure, ou pour envoyer un message au monde, mais par nécessité.
Davy est un pragmatique qui exploite les opportunités qui se présentent à lui
Cette période de sa vie apportera deux éléments constitutifs importants au projet professionnel de Davy :
- L’envie de créer une marque, même si les contours, la personnalité de cette marque sont encore flous.
- L’affirmation d’un de ses principaux moteurs : la fierté. C’est parce que Davy est fier, parce qu’il ne supporte pas l’humiliation, qu’il se met en mouvement.
À cette époque, Davy n’a pas encore de démarche trop intellectuelle, trop spirituelle. Il avance d’abord pour faire face à ses contraintes. Davy ne va chercher à y mettre du sens, de la cohérence et de l’alignement par rapport à qui il est que dans un second temps.
Il est un pragmatique qui exploite les opportunités qui se présentent à lui plus qu’un visionnaire qui cherche à tout prix à bâtir un storytelling vendeur. Il parviendra d’ailleurs, a posteriori, à produire ce storytelling avec un grand talent. Ce qui démontre qu’on peut tout à fait s’occuper du sens de son action dans un second temps.
En quête de son identité
Le deuxième épisode de son histoire personnelle qui va marquer l’âme de sa future marque commence probablement à la mort de ses parents. Davy semble alors se mettre en quête de son identité. Cette quête l’amène à préciser le « pourquoi » de sa démarche, à construire une vision mieux structurée de son projet. En réalité, il va en faire le prolongement de lui-même, de son histoire personnelle. C’est probablement pour cela qu’il choisit le nom de sa famille comme nom de marque. Intuitivement, une fois de plus, sans forcément avoir intellectualisé cela. Le voyage qu’il fait en Chine est à la fois professionnel et introspectif. Il dit qu’il veut savoir dans quel bois il a été taillé.
En homme de terrain, en pragmatique, il a voulu aller voir comment étaient faits les jeans qu’il s’apprêtait à fabriquer, mais ce voyage fut également l’occasion de découvrir sa famille. Et c’est une fois au Vietnam que sa vision marketing surgit. C’est à nouveau sous l’impulsion de son moteur, la fierté, qu’elle émerge : c’est parce qu’il considère son projet de marque comme une partie de lui-même qu’il ne veut pas qu’elle lui fasse honte. Choqué au plus profond de lui par ce qu’il a vu en Asie, il en tire des conclusions professionnelles : « Je ne veux pas participer à ça. Je veux faire autrement ».
Dao sera donc une marque made in France et aura, à bien des égards, la personnalité de Davy. Sa vision, la raison d’être de son entreprise, est en train de s’affirmer. Il va passer, lors de son retour en France, d’un alignement intuitif entre ses valeurs personnelles et celles de sa marque à un alignement assumé.
C’est le troisième épisode marquant de son cheminement.
Installer son savoir-faire manuel, technique, au centre de son entreprise
Sa marque va agir. Elle va fabriquer elle-même, comme il le faisait, de ses propres mains, à ses débuts. Il aime « faire et être fier de ce qu’il fait ». Il va donc installer ce savoir-faire manuel, technique, au centre de son entreprise. C’est un élément qui nourrira sa stratégie de production, sa capacité de création, et donc son positionnement marketing et son image.
Toujours pour être fier de ce qu’il fait, il souhaite désormais aller plus loin qu’un simple projet entrepreneurial en partageant ce qu’il a découvert sur le monde de la mode. Il veut sensibiliser les gens sur les matières, sur la provenance des produits. Il veut les aider à adopter une consommation responsable du textile.
C’est ainsi qu’il est passé d’un entrepreneuriat classique à un entrepreneuriat engagé. Il est passé de la vision à la mission de Dao. C’est pour cela qu’il va se projeter dans un système qui l’amènera à disposer de son propre atelier, à étudier les alternatives textiles.
Je conclurai cette analyse en soulignant un autre point saillant que nous enseigne l’aventure de Davy. Traverser de grandes épreuves, vivre de grandes frustrations n’est pas toujours constructif, bien entendu. Mais Davy a su faire quelque chose de ses mauvaises expériences. Il a réussi à transformer ce sentiment très désagréable en une énergie qui lui a permis d’avancer. L’idée qu’il faut nécessairement avoir vécu une enfance et des expériences heureuses pour devenir un entrepreneur épanoui n’est pas la réalité. L’inconfort a clairement été un levier de motivation chez Davy. Ce sont les contraintes fortes auxquelles il a fait face qui l’ont amené à trouver des ressources et à surmonter les défis.