À l’occasion de la sortie de notre magazine N°2, nous vous proposons de découvrir certaines des histoires que nous avons eu plaisir à raconter. Aujourd’hui nous vous parlerons de Guillaume Faburel. Professeur en géographie, urbanisme et science politique à l’Université Lyon 2 et à l’Institut d’études politiques de Lyon, il est aussi l’auteur de « Pour en finir avec les grandes villes » *. Pour Guillaume Faburel, il est « temps de refaire corps avec le vivant en repensant nos rapports à ce qui fait lieu de vie. Cela suppose de viser l’autonomie, qui n’est pas l’autarcie.»
Propos recueillis par Sandra Franrenet
Les Déviations : Vous avez co-organisé début octobre les premiers «états-généraux pour une société écologique du post-urbain ». Sommes-nous arrivés au bout de nos modes de vie métropolitains ?
Guillaume Faburel : Ces états généraux sont le fruit d’une année de travail en collaboration avec une trentaine d’organisations qui cherchent à proposer d’autres formes et modes de vie que le cadre urbain promu par les institutions. A notre grande surprise, les deux-tiers des participants avaient moins de 30 ans, étaient non encartés et déjà engagés dans une trajectoire de déconnexion. Parmi ceux-ci, nous avons recensé aussi bien des militants fraîchement débranchés que des jeunes bien insérés vivant en ville. Malgré la diversité de leurs profils, tous ont partagé le même constat : le caractère non soutenable des concentrations urbaines, l’artificialisation de nos cadres d’existence et le poids croissant du béton à l’intérieur des métropoles. L’urbanisation continue de galoper alors que ce phénomène participe du chaos climatique et de la crise du vivant.
LD : Le confinement a montré les limites d’une existence entourée de béton. Quels sont les principaux défis de l’écologie urbaine pour réconcilier les habitants avec les métropoles ?
GF : Le nœud gordien de l’écologie urbaine, c’est de commencer à penser le démantèlement ! En janvier, une étude publiée dans la revue scientifique Science a montré que certaines métropoles s’affaissent à une vitesse vertigineuse. En cause, le pompage excessif des nappes phréatiques, la sécheresse et le poids des constructions. Si rien n’est fait d’ici 2040, le tassement du sol affectera 19% de la population mondiale. Malheureusement, il est électoralement suicidaire de s’engager autour d’un programme de décroissance planifié de la masse urbaine.
Plutôt que d’aborder le problème frontalement avec des politiques d’envergure, les élus préfèrent octroyer des permis à végétaliser, ouvrir des pistes cyclables et laisser le marché trier entre les habitants qui ont les moyens de s’enfuir et ceux assignés à l’enfer du béton. Le problème, c’est que si nous ne révisons pas rapidement nos besoins, nous risquons d’entrer dans une ère d’écologie punitive où les politiques dicteront toujours plus nos comportements. Il est urgent de repenser et d’anticiper une relocalisation à une échelle plus soutenable. Mais n’attendons pas des métropoles – qui sont la cause du trépas – qu’elles soient armées pour faire face à la démesure qu’elles construisent…
LD : L’exode urbain n’a pas fait que des heureux ! Quelques mois après s’être convaincus que le bonheur était dans le pré, certains ex-citadins sont revenus dans les métropoles. A quoi imputez-vous ce désenchantement ?
GF : Le premier problème des métropoles, c’est d’avoir arraché l’Homme à toute nature. C’est pour cela que beaucoup ont fantasmé, pendant le confinement, sur une vie au grand air. Mais réussir son exode urbain n’est pas donné à tous ! Il suppose une rupture profonde avec son ancien mode de vie. Il faut déconstruire son système de besoins et les comportements qui y sont accolés. Quand on déménage, on n’emporte pas tout.
Et bien c’est pareil ! On ne peut pas faire corps avec le vivant si on embarque avec soi toutes les dépendances urbaines auxquelles nous nous sommes habitués. Déménager pour prendre le TGV deux fois par semaine et obtenir le double de surface habitable par le différentiel de prix n’est certes pas écologiquement vertueux, mais cela pose surtout la question de la réalité du changement que l’on souhaite conduire dans nos rapports au travail et à la mobilité, à l’alimentation et à la vie en société.
LD : On assiste à une flambée des prix des carburants et bientôt de l’électricité. Vivre en dehors des grandes villes implique cependant de se déplacer en voiture. La mobilité constitue-t-elle un enjeu fort pour attirer de nouveaux habitants ?
GF : Si l’on reste sur la logique croissanciste et développementaliste selon laquelle il faudrait un système de consommation tourné vers “le plus” (de liberté, de pouvoir d’achat,… autrement dit le monde d’avant), alors oui, la mobilité constitue un enjeu fort. Je crois cependant que notre époque nous impose de prendre de la hauteur. La mobilité est un produit de l’économie marchande qui entraîne de l’inégalité parce qu’on l’a privilégiée au détriment de ce qui fait notre ancrage, notre « habiter ».
Il est temps de refaire corps avec le vivant en repensant nos rapports à ce qui fait lieu de vie. Cela suppose de viser l’autonomie, qui n’est pas l’autarcie. Être autonome sous-entend de se relocaliser afin de devenir moins dépendant de tous les services et circuits auxquels on s’est attaché dans l’urbain. N’oublions pas que nous sommes des bipèdes ! Nos échelles doivent devenir celles du bassin de vie, du milieu écologique propice à l’autonomie, soit 10-15 km maximum.
LD : De nombreux citadins fantasment aujourd’hui sur une vie épousant le système de la garde alternée : la moitié du temps en ville, l’autre à la campagne ! D’où le boom des résidences secondaires. Qu’est-ce que ce phénomène vous inspire ?
GF : Le petit goût d’évasion offert par le confinement a travaillé les consciences au point que l’on parle aujourd’hui de bi-résidentialité plutôt que de résidence secondaire. Mais, vivre en « garde alternée » revient à vouloir le beurre et l’argent du beurre, autrement dit continuer de profiter des commodités de la grande ville tout en accédant à un lieu de dépaysement. Ce n’est pas un modèle soutenable car il participe du pharmakon (confusion entre le remède et le poison). Néanmoins, la bi-résidentialité présente un avantage : celui de commencer à embarquer les individus dans un autre rapport à l’écologie. C’est une toute première tentative d’affranchissement du tout urbain.
Caresser les fougères, fouler la terre nue, regarder les constellations au clair de lune enseignent d’autres rapports à l’espace et au temps, le ménagement et le ralentissement. Les personnes qui y goûtent se construisent une autre sensibilité à l’environnement. Et il est ensuite très difficile de faire machine arrière. Nous sommes des habitants de la terre ; nous avons besoin des sensations et des émotions qu’elle nous procure. Ceux qui ont la chance d’avoir une résidence au vert éprouvent directement le temps qu’il fait, la végétation qui foisonne…, soit autant d’événements qui pourraient bien les surprendre… de manière définitive ! Pourquoi ne pas offrir la possibilité à tout le monde ?
* « Pour en finir avec les grandes villes », (éd. Passager clandestin).
©Nicolas Pluquet
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