Aspiration, accident, nécessité, perte de sens… À chacun ses bonnes raisons pour changer de vie. Laurent Moisson est le co-fondateur du média Les Déviations. Nous diffusons la tribune très inspirante qu’il a publié dans notre magazine qui est toujours en vente dans les librairies ou via ce lien sur notre site.
“On a tendance à croire que c’est l’envie de s’accomplir qui conduit les gens à changer de vie. C’est en partie vrai… en partie seulement. Car, si ceux qui changent en profitent pour tenter de se rapprocher de leurs aspirations, la plupart d’entre eux entrent en mouvement sous la contrainte, parce qu’ils ont été obligés de le faire ou parce qu’ils ne supportaient plus leur vie d’avant. Il est souvent plus simple de sortir de sa « zone de confort » quand celle-ci est, en réalité, particulièrement inconfortable.
Il y a, bien sûr, ceux qui changent pour « devenir ». C’est, dans nos sociétés occidentales matériellement privilégiées, la première route que la majorité d’entre nous emprunte. Lorsque nous sommes encore jeunes, nos parents, notre entourage, notre culture nous influencent et façonnent nos premiers objectifs de vie qui, une fois passés les premiers fantasmes d’enfants (devenir astronaute, chanteuse, sportif de haut niveau, aventurière…), se précisent et guident nos pas vers un avenir idéalisé et bien souvent flou : « Tu seras chirurgien. »
“Les anciens avaient raison…”
Parce que l’on rêve souvent d’abord d’un avenir professionnel, l’image d’un métier étant très forte chez de jeunes personnes qui n’en ont pas encore, d’autres ambitions, plus personnelles, passent au second plan. On se projette aussi en fonction des modèles qui nous entourent (avoir une maison, des enfants, un chien…). Des réalités qui colorient nos aspirations sans que nous ayons vraiment pu y être concrètement confrontées. Derrière ces aspirations se cache le besoin, pour beaucoup d’entre nous, d’acquérir une place dans notre société et dans le regard des autres. Le statut devient notre premier but. Il tient finalement bien plus d’un héritage que d’une conviction profonde.
Et puis vient la vie, avec son implacable pragmatisme. Elle met à l’épreuve nos rêves, en les rendant difficiles à atteindre, ce qui occasionne nos premières obsessions ou nos premiers renoncements. Et quand, par la grâce d’une volonté de fer ou d’heureux hasards, nous atteignons ces premiers objectifs, nous réalisons souvent qu’ils ne sont qu’une étape, mais certainement pas notre destination. Les anciens avaient raison : atteindre une position sociale ou avoir de l’argent ne suffisent pas toujours à nous rendre heureux. Certains s’en satisfont, bien entendu. Nous parlerons peu d’eux dans un ouvrage consacré aux déviations.
Nous nous intéresserons aux autres, à tous ceux qui en attendaient trop et qui découvrent qu’avec le statut rêvé arrivent des responsabilités trop lourdes, des postures obligées, un entourage toxique, la pression du regard des autres, à commencer par ses proches. Ils ne tardent pas à réaliser qu’ils se sont eux-mêmes enfermés dans un modèle qui ne convient qu’à quelques-uns. Après une période d’épuisante résistance mêlée à l’étonnante capacité humaine à entretenir le déni, ils finissent par reprendre une quête de sens dont ils se demandent parfois si elle aura une fin.
Déviations subies
Une partie d’eux rejoint alors une autre catégorie, celle de ceux qui, conscients qu’on ne vit qu’une fois, souhaitent faire de leur existence un moment plein et entier, désirent suivre leur rêve et changer pour le mieux, au risque d’oublier, parfois, de construire ce qui les protègera plus tard. Quelles que soient leurs motivations, tous ont eu l’audace de se mettre en marche sur ce chantier sinueux, plein de surprises, d’espoir, de satisfactions, mais aussi de déceptions qu’est la quête de sens.
Ces histoires, qui valorisent la démarche de ceux qui ont choisi de changer de vie, auraient été faciles à raconter, tant elles inspirent nos entourages et qu’elles se finissent bien. Mais elles en occultent d’autres : les parcours plus compliqués, moins heureux, de personnes, encore bien plus nombreuses, qui changent parce qu’elles y sont obligées. Leurs déviations émanent de contraintes impérieuses complètement étrangères à leur volonté : une rupture, un imprévu, une maladie qui viennent perturber une existence qui aurait pu être paisible, ou le si déchirant exil qui survient quand tout quitter est la dernière solution pour échapper à un environnement domestique nocif, aux dangers de la guerre, ou pour trouver un autre monde et tenter de s’y épanouir. Ces déviations que nous pourrions qualifier de « subies » mettent en perspective l’idée que la quête de sens part toujours d’une prise de conscience, d’un désir de mieux, d’une envie de se réaliser. Ça n’est, malheureusement, pas toujours le cas.
Mais nous verrons dans les témoignages qui suivent, aussi divers soient-ils, que les changements de vie offrent d’étonnantes similitudes dans leur déroulement. Errements, difficile identification de la destination, longueur de la quête de sens, rebondissements émotionnels, nécessité de trouver l’audace, le courage, l’endurance et l’énergie pour changer sont le lot de celles et ceux que nous avons rencontrés.”
LAURENT MOISSON
