Mathieu Souquière : « 6 Français sur 10 disent vouloir ralentir le rythme »

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Mathieu Souquière, consultant, essayiste et expert associé auprès de la Fondation Jean Jaurès, a été conseiller auprès de la ministre du Travail (2015-2017). Nous l’avons interrogé sur sa grille de lecture du monde du travail.

Propos recueillis par Vincent Teillet.

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Les Déviations : En tant qu’ancien conseiller au ministère du Travail, quel regard portez-vous sur les questions liées au travail dans la France de 2023 ?

Mathieu Souquière : Si chaque époque connaît naturellement des changements dans son organisation économique et sociale, nous sommes face à des mutations sans précédent. Trois révolutions additionnent leurs effets. Une première est subie car elle est d’ordre organisationnel. Il s’agit de la révolution numérique qui bouscule toute l’architecture des métiers et la chaîne de valeur. La deuxième révolution est d’ordre culturel. A ce titre, elle est choisie. C’est la révolution du « sens ». Pour la première fois, les entreprises se posent la question de leur « raison d’être » et les salariés s’interrogent sur la place et le sens que le travail a dans leur vie. La troisième révolution, existentielle, est pour l’essentiel encore devant nous. C’est la révolution écologique qui va nous conduire à verdir nos économies, voire à en repenser les bases profondes.

Les Déviations : Est-ce que les tensions actuelles autour du « travail » ne sont pas une singularité française ? 

Mathieu Souquière : Les trois mutations dont nous parlions frappent toutes les grandes économies. La révolution du « sens », encore accentuée depuis le Covid, a même pris les contours de ce que l’on a appelé aux Etats-Unis « la grande démission ». Grande démission ou grande rotation, peu importe la façon dont on la nomme. La tendance est la même dans de nombreux pays. Autrefois, un travail était synonyme d’indépendance économique et de statut social. Désormais, chacun en attend davantage en matière d’épanouissement individuel et d’alignement avec ses convictions et ses valeurs. 

Ce qui est spécifiquement français, en revanche, c’est un mal-être qui tient à un manque de reconnaissance, matérielle et symbolique, dont se plaignent nos concitoyens et qui est très supérieur à ce qu’on observe ailleurs. Seuls 4 Français sur 10 considèrent que leur travail est reconnu à sa juste valeur par leur entreprise.

Les Déviations : En quoi le débat sur la réforme des retraites a-t-il été emblématique de ce malaise ?

Mathieu Souquière : Ce sentiment de manque de reconnaissance, alors même que nous continuons d’accorder une importance symbolique très grande à notre travail, produit une insatisfaction telle que le recul d’une à deux années seulement de l’âge de la retraite est vécu de façon très défavorable, quasi épidermique. Il fait écho à un autre trait spécifiquement français : le sentiment quotidien de courir après le temps et le besoin très puissant d’en reprendre le contrôle, pour retrouver la maîtrise de sa vie. 6 Français sur 10 disent ainsi vouloir “ralentir le rythme”. Ce que justement offre la retraite : vivre à son rythme et avoir enfin du temps pour soi. 

Les Déviations : Ne sommes-nous pas au bout d’un processus de dématérialisation, de désindustrialisation qui nous aurait fait perdre le sens du travail ?

Mathieu Souquière : Le recul de l’industrie traditionnelle et l’avènement d’un capitalisme numérique changent évidemment la donne. Pour une raison simple et inédite : nous subissions des mutations de plus en plus rapides, qui sont sources d’inquiétudes. Un jeune qui entre aujourd’hui sur le marché du travail changera en moyenne dix fois de situation professionnelle : poste, métier, entreprise, statut… Certaines études indiquent que près de la moitié des métiers pourraient disparaître ou être profondément transformés dans un avenir proche. Et on estime que la moitié des métiers qu’exerceront demain nos enfants n’existent pas encore. Il est difficile pour eux, dans ces conditions, de se projeter. 

Les Déviations : Quels sont les signes d’espoir, les signaux faibles qui laissent entrevoir une possible réinvention du travail ?

Mathieu Souquière : Une poussée très puissante qui conduit à repenser la responsabilité des entreprises elles-mêmes. Ces dernières se sont pendant longtemps concentrées sur leurs résultats. Puis, avec la révolution de la RSE (responsabilité sociale des entreprises), elles ont été sommées de s’intéresser à ce que les économistes appellent leurs « externalités négatives », en particulier en matière environnementale et sociale. Cette étape est déjà derrière nous. Les entreprises ont désormais à réfléchir à leur « impact », c’est-à-dire leur contribution propre aux grands défis du moment. Le Covid en a d’ailleurs été un parfait révélateur et la crise climatique le nécessitera encore plus demain. Les attentes sociales sont en la matière très fortes, comme le révèlent notamment les mouvements de protestation des jeunes diplômés des grandes écoles. 

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