Aujourd’hui vice-président d’une mutuelle, Nicolas Pomiès a gardé une immense loyauté pour le monde ouvrier dont il est issu. Après des années d’errements suite à un départ précipité du foyer familial, il a enchaîné les petits boulots, a repris ses esprits à l’armée avant de se reconstruire à l’usine.
Propos recueillis par Nicolas Pomiès.
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« J’ai commencé en bas de l’échelle »
Grand lecteur et amoureux de la langue française, Nicolas Pomiès a gravi tous les échelons des métiers de production jusqu’à devenir cadre, puis dirigeant d’entreprise. Il est un exemple parmi d’autres de la capacité des entreprises industrielles à permettre une ascension sociale, alors que leur raréfaction en France a largement contribué à affaiblir ce phénomène. « Affaiblie momentanément », précise Nicolas qui fait partie de ceux qui militent pour une renaissance de ces entreprises made in France.
Nicolas Pomiès est toujours tiré à quatre épingles. Quand il est passé nous voir pour son interview, un costume trois pièces donnait à son corps de rugbyman en retraite l’élégance de ceux pour qui les codes ont encore une signification. « J’ai commencé en bas de l’échelle. Quand j’étais ouvrier, je portais le bleu de travail. Alors, maintenant que j’exerce des responsabilités au nom de travailleurs que j’aurais pu côtoyer, dans une mutuelle qui gère leurs cotisations, je porte des costumes. C’est une forme de respect que je dois à mes anciens collègues. Vous savez, sourit-il, ça n’est pas parce qu’on a exercé des métiers manuels qu’on n’a pas reçu une bonne éducation ! Et puis, on est Français, vous comprenez… On doit s’astreindre à une certaine élégance. »
Un standing, une exigence que l’on retrouve dans son langage. Quand il nous a raconté sa vie, les mots étaient choisis, le verbe précis, les arguments clairs et construits. « Ma grand-mère avait un français impressionnant tant il était riche et maîtrisé. Quant à ma mère, elle m’a obligé à lire. Ma grand-tante a été jusqu’à me faire lire le dictionnaire, et puis, ça a fini par rentrer. » Voilà comment Nicolas a développé une véritable passion pour la lecture et les nourritures intellectuelles, passion qui aura une grande influence sur son destin, qui n’était pourtant pas très bien parti.
« Je suis issu d’une famille de déracinés qui a toujours tout perdu »
Lors de notre discussion, la douceur de la voix et la bienveillance du regard de Nicolas ont plusieurs fois juré avec la gravité de ses propos. À certains moments, on aurait pu croire qu’il était fataliste, résigné. « Il y avait une sorte de malédiction sur nous… À chaque fois que nous parvenions à construire quelque chose, tout brûlait. Tout le temps. »
Il y eut tout d’abord la profonde déchirure à laquelle toute famille pied noir a dû faire face en perdant sa maison et l’ensemble de ses biens pour rejoindre une mère patrie qui ne voulait pas d’elle.
« Je n’étais pas né mais mon père et ses parents ont été marqués à vie. Face à eux, dans le port de Marseille, il y avait un groupe de personnes qui portaient une banderole : pieds noirs, rentrez chez vous ! Mais nous n’avions plus de chez nous ! »
Élevé dans le souvenir d’une terre qu’il n’a jamais habitée, Nicolas est balloté au rythme des déménagements. Si sa mère et les femmes de sa famille étaient bienveillantes, son père, qui semblait vouloir l’aider à surmonter ses difficultés scolaires, était particulièrement dur avec lui. « Je suis d’une génération qui n’a connu que la crise économique. Il n’y avait pas, à cette époque, de pénurie de main-d’œuvre. Et, quand on n’était pas bon à l’école, on nous promettait le déclassement social. Tu finiras clochard, tu finiras ouvrier. À force d’entendre ça de la part des profs, je me suis convaincu que c’est ce qui m’attendait. »
« J’étais en couple et elle comme moi vivions au jour le jour »
Mais, quand la confiance le gagnait, quand l’estime de soi revenait, Nicolas se voyait devenir avocat. Jusqu’à son départ précipité du foyer familial, le bac à peine obtenu. « Je ne souhaite pas en parler. Ça ne ferait pas plaisir à ma famille si elle tombait sur cette interview. » La pudeur est visiblement une de ces valeurs désuètes qui caractérisent Nicolas.
Commence alors la valse des petits boulots. « J’étais en couple et elle comme moi vivions au jour le jour. On ne construisait rien. On travaillait comme on pouvait, on vivait machinalement, sans but. » Puis il y eut l’armée. « J’aimais bien sauter en parachute, alors je suis devenu para. Mais j’étais dans une unité un peu trop tranquille. Je voulais quelque chose qui bougeait plus. Alors, je suis allé voir la Légion. Et quand j’ai vu le niveau sportif qu’il fallait, j’ai mis fin à ma carrière de soldat. C’était inatteignable. »
C’est après cette expérience de deux ans, qui eut le mérite de calmer le jeune homme agité qu’il était devenu, que Nicolas entra à l’usine. Elle est devenue son cocon, un refuge où il pouvait échapper à la pression que la vie lui imposait. Elle a donné un cadre à sa vie faite jusqu’alors d’une succession d’essais non transformés, d’expériences qui s’enchainaient sans raison particulière ni direction.
« À l’usine, la transmission entre les anciens et les jeunes fonctionnait à plein »
C’est au sein de cette communauté humaine, parfois aliénante par sa relation aux machines, son bruit et ses cadences en 3×8, souvent solidaire, chaleureuse et fraternelle, qu’il a pu se mettre en pause le temps de se reconstruire, avant de se lancer dans une ascension sociale constante, presque inexorable, jusqu’à des fonctions de direction d’entreprise.
« Il y avait bien entendu des machines très perfectionnées, mises au point par des ingénieurs remarquables. Mais rien ne pouvait remplacer le savoir-faire d’un ouvrier qui avait de la bouteille. À l’usine, la transmission entre les anciens et les jeunes fonctionnait à plein. On a oublié ça aujourd’hui mais la dimension humaine était très forte. »
Un jour, un cadre demande à Nicolas, seul bachelier parmi les ouvriers, de s’impliquer dans le processus de certification qualité de l’usine. Ayant conduit le projet avec succès, il se fait remarquer, puis débaucher dans une autre usine qui veut profiter de son expérience. Bénéficiant de conditions de travail moins fatigantes, il reprend les études, se remet à la lecture, obtient un diplôme et poursuit sa progression dans la logistique en commençant par un stage, jusqu’à devenir le bras droit du directeur régional.
Il découvre la solitude du patron
Au cours de ses études, Nicolas découvre et s’intéresse au mouvement mutualiste. Il lui trouve des qualités qui compensent à ses yeux les défauts d’un modèle capitaliste qu’il juge trop dur envers les personnes. « Les usines et les entreprises sont de plus en plus dirigées par des contrôleurs de gestion, des financiers qui n’ont pas la vision et les valeurs humaines des entrepreneurs et des techniciens sortis du rang. »
Désireux de mettre en adéquation son travail avec ses orientations philosophiques, il décide de démissionner et de rejoindre une mutuelle comme directeur général. Il prend rapidement d’autres responsabilités et devient dirigeant d’une des filiales de l’entreprise qui traverse, depuis un moment, de grandes difficultés. Face à des syndicats parfois peu compréhensifs et à un groupe qui veut fermer cette activité en perte, il découvre la solitude du patron, la pression du compte de résultat, les nuits sans sommeil à se demander comment il va réussir à franchir les épreuves sans trop de casse sociale.
« Je n’ai tenu que grâce au soutien de mon épouse et de quelques amis »
Écœuré par l’écart entre des valeurs mutualistes proclamées et les pratiques internes du groupe, il finit par quitter son poste après 8 ans d’une expérience moralement épuisante. Mais, certain que ce dévoiement des valeurs mutualistes n’était pas la norme, il décide de rejoindre une autre entreprise du secteur.
« J’ai rejoint Mutuale, une mutuelle familiale créée par des ouvriers et particulièrement bien gérée. J’ai tout de suite adoré cette structure. On y vit pleinement les valeurs mutualistes : du système de gouvernance démocratique (je suis moi-même élu par les les adhérents de ma section géographique) jusque dans nos placements. On s’assure que l’argent de nos adhérents est placé dans des entreprises qui participent à l’amélioration de la société, notamment dans des entreprises qui produisent en France. Parce que si on est attaché à la Sécurité Sociale, on doit soutenir les entreprises qui la financent en payant des cotisations chez nous. Si on veut un système social fort, il faut des entreprises solides. »
Voilà comment, après un parcours professionnel riche et mouvementé, Nicolas a trouvé une entreprise qui fait la synthèse de ses mille vies, tout en participant au bon fonctionnement d’un ascenseur social qu’il a lui-même emprunté. En amoureux de la langue française, qu’il considère comme un autre creuset d’intégration, Nicolas a lancé une opération chez Mutuale destinée à éliminer les (nombreux) anglicismes présents dans le vocabulaire professionnel. Le défi est de taille mais sa détermination l’est davantage. Alors, good luck Nicolas, comme on dit à l’Académie française !
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